Michèle Lévesque arts & icônes
Section Textes, poésies et commentaires sur images

Retour à la section textes, poésies et commentaires sur images
 


Michèle Lévesque arts & icônes
Section Textes, poésies et commentaires sur images

Commentaire sur la peinture à l'acrylique

"Padre Pio et l'Apocalypse"

Illustrant également un aspect de mon processus créatif

 

J'ai commencé cette toile il y a plusieurs années déjà (il me semble que c'était vers 2004, mais il est possible que ce soit bien avant).  Elle avait pour objectif principal de m'aider à contenir et à 'ventiler', en leur donnant une forme me permettant de prendre une certaine distance par rapport à eux, les émotions et les affects qui menaçaient alors de me submerger. 

Quand j'ai commencé la toile, je n'avais aucune image préalable en tête.  Je ne voulais pas faire de personnages ni même quoi que soit qui rappelle la réalité telle que nous la voyons habituellement.  Par contre, les effets de nature, tels ceux des rochers, de l'eau, des nuages, etc., étaient les bienvenus.  Je ne voulais toutefois pas me contraindre à les respecter dans leur naturalité, ni même à les garder.  Ce qui m'intéressait, c'était le mouvement et la liberté - la mienne par rapport à l'oeuvre et celle de l'oeuvre par rapport à moi.

Bien sûr, j'avais le souci d'obtenir une certaine structure - de faire une composition picturale qui se tienne -, mais il m'était alors impossible, l'aurais-je voulu, de la prévoir à l'avance.

Je ne suis pas confortable avec ce qu'on appelle communément l'abstraction, même si presque toutes mes toiles et dessins commencent à partir d'éléments de ce type - tache, ligne, barbouillage...  Quand je travaille de cette manière, je n'aime habituellement pas quand la figuration arrive trop vite - je veux dire : vienne en sortant de mon vouloir, de mon insécurité à me maintenir dans l'ouvert, dans l'attente.  Quand cela arrive, je me sens bloquée, obligée de faire conforme à je ne sais quel critère internalisé, et cela me limite dans le processus. 

Par ailleurs, ce n'est que lorsqu'une forme signifiante pour moi surgit comme d'elle-même que je sens que la toile est là, qu'elle est cette toile.  Dit autrement, ce n'est que lorsqu'apparaît un quelque chose d'autre qui me permet de me mettre en relation avec une altérité - avec le sens de la toile qui sort de mon imaginaire, mais dès lors ne m'appartient plus car elle me signifie par son impromptu qu'elle est libre et souveraine, etc., - ce n'est que là que je sens que la toile atteint une sorte d'équilibre, de réalité et de vérité.  Dit autrement encore, c'est quand je sens que l'Image vient d'un inconscient non censuré, lequel est à la fois personnel et me débordant infiniment, que je suis contente.  Et cet inconscient complexe, je l'identifie peu ou prou au divin agissant ludiquement et joyeusement en ce monde par la voie royale de l'imaginaire.

Cette toile a débuté avec du papier collé et ces épaisseurs me sont rapidement devenues étrangères, enfargeantes et limitatives.  Mais c'était aussi un défi, une contrainte acceptée car cela faisait partie de ce tout en gestation qu'est une oeuvre d'art.   A un certain moment du travail de peinture, j'ai vu, dans le haut à droite de la toile et dans un fouilli d'épaisseurs dues au papier collé, une forme agenouillée que j'ai immédiatement associée à - mais le premier mot qui me vient est : 'reconnue comme' - padre Pio.  J'étais émerveillée car c'est cela que je recherche, cette rencontre d'une forme - ici un personnage et qui plus est un saint - qui naît du chaos de couleurs et de lignes préalables.  Ici, c'était clair que ce qui était sorti de mon pinceau me dépassant vraiment beaucoup.

Quand mon père Roger, décédé maintenant, a vu cette toile dans l'entrée de mon salon à Saint-Jean-sur-Richelieu où j'habitais alors, il a dit : "C'est un cheval de Troie."  Mon père ne s'est jamais prononcé sur mes productions, même s'il m'a toujours respectée et soutenue dans tout ce que je désirais entreprendre.   Son exclamation m'a enlignée sur le thème de l'Apocalypse, le chaos total du monde, une sorte d'engouffrement dans la douleur, l'effort désespéré pour s'en sortir, un état de siège, une guerre, etc., bref un état parent du mien à cette époque.

A partir de là, j'ai légèrement accentué la forme - sorte de corps mi-agenouillé et appuyé sur une flaque rouge sang à la fois rigide et coulante, effrayante à mes yeux.  C'est comme si padre Pio avait réussi à monter un des quatre chevaux de mort de l'Apocalypse, le cheval rouge associé à la guerre, et que dès lors ce dernier n'avait plus aucun pouvoir.   J'ai alors travaillé légèrement le visage, assez maladroitement je dois le dire, surtout que même sans mes rehauts il aurait été suffisamment défini.

Voici les trois photos de cette toile, soit l'ensemble et deux détails.  Pour chacune, j'ai créé une fiche dans la section Peintures... que l'on peut ouvrir en cliquant sur chacune des images : 

 

 

En rédigeant ce texte, j'ai cherché une photo de padre Pio qui serait parente avec la pose et le visage que l'on voit ici.  J'ai trouvé celle qui suit sur le site leandresz.com.  *

 

 

De mémoire, je n'avais jamais vu cette image auparavant, mais ça ne veut pas dire que je ne la connaissais pas.  Ce qui est important pour moi, c'est la parenté certaine, au niveau du geste et aussi dans la pose, entre cette photo du saint et la forme qui est venue dans ma toile.

Le processus raconté ici illustre bien un aspect important de mon travail en arts visuels, celui de l'impromptu - Jean-Luc Marion appellerait peut-être cela l'Invu, phénomène qu'il attribue aux Icônes, et H.-G. Gadamer le situerait peut-être dans ce qu'il appelle la Représentation qui caractérise l'oeuvre en général et l'art en particulier.  Peut-être.  Dans mon langage, je parle surtout de surgissement de quelque chose qui est en nous et qui pourtant nous dépasse, nous précède et nous attend à même le processus de croissance, sans jamais rien confondre, abolir ou absorber, ni non plus opposer, au sens négatif du terme.  

C'est seulement quand je rencontre cela, quand il y a Rencontre, en fait, même modeste et minimale, que mon travail artistique, tant en arts visuels qu'avec l'écriture, me satisfait et m'apporte la paix.

Cette toile est maintenant chez mon amie Denise qui me l'a achetée quand j'ai quitté Saint-Jean-sur-Richelieu en 2012.  Elle l'a vue naître et l'a toujours aimée.  Je suis contente qu'elle soit avec elle - et contente aussi que le premier texte que j'écrive sur une peinture porte sur cette toile qui lui parle. 

 

Michèle Lévesque

cr 2014-08-24 publié 2014-08-24

 

* Lien à la photo de Padre Pio :

http://leandresz.com/wp-content/uploads/2012/05/st-padre-pio.jpg